Extraits d’une conférence-concert en langue italienne de Corrado Augias, l’un des plus populaires écrivains-journalistes italiens, et Giuseppe Fausto Modugno, pianiste de notoriété internationale, à la Maison de l’Italie de Paris, le 2 novembre 2018, sur le thème UGO FOSCOLO / LUDWIG VAN BEETHOVEN : « VIES PARALLÈLES » ? Interventions d’ouverture : Roberto Giacone, directeur de la Maison, et Michele Canonica, journaliste, président du Comité de Paris de la Società Dante Alighieri.

Avec la complicité du pianiste Giuseppe Fausto Modugno, l’écrivain, journaliste et mélomane Corrado Augias a exploré les étonnantes similitudes intellectuelles et existentielles entre les parcours de Foscolo et Beethoven. Deux vies parallèles, à la manière de Plutarque ? Né en 1778, huit ans après Ludwig van Beethoven, et mort dans la même année (1827), Ugo Foscolo a partagé plusieurs passions avec le « géant de Bonn ». Préromantique et néoclassique, son parcours artistique a traversé des phases comparables à celui de Beethoven, en passant d’une certaine intolérance juvénile face aux models hérités du passé au classicisme « parfait » de ses derniers poèmes. Semblablement, à Vienne, sans connaître Foscolo, Beethoven arrivait à percer les schémas de la culture des lumières pour accéder aux côtés contemplatifs et néoclassiques de sa dernière période. En définitive, un poète italien et un compositeur allemand qui nous illustrent un très suggestif chemin intellectuel européen, à cheval entre le 18ème et le 19ème siècles.

Un bref commentaire

Elle est comble la grande salle de la Maison de l’Italie (Cité Internationale Universitaire de Paris), le vendredi 2 novembre 2018 : il y trône un énorme piano à queue noir, près duquel vont venir s’installer une « plume » renommée du quotidien La Repubblica, Corrado Augias, et un très connu musicien, Giuseppe Fausto Modugno. En arrière-plan, sur grand écran, une projection de portraits où l’on reconnaît immédiatement le compositeur allemand et un visage moins connu, celui du poète italien Ugo Foscolo : portraits rythmés par des apparitions de Napoléon Bonaparte (avec ou sans cheval). En piste, voici le quatuor essentiel qui animera la rencontre, organisée par le Comité de Paris de la Società Dante Alighieri en collaboration avec la Maison de l'Italie.

Quelle parenté va unir les deux artistes qui n’ont apparemment en commun que la date de leur décès, 1827 ? Leur parcours littéraire entre romantisme et néo-classicisme, diront les historiens de la culture européenne ? Soit, mais c’est leur intérêt jumeau pour la France qui, dans la personne de Bonaparte devenu Napoléon, les a successivement « enchantés » et « déçus ». La France, point de mire de l’Europe et tout particulièrement de l’Italie qui suit avec le plus grand intérêt le parcours du jeune général, vecteur de la Révolution française dans la péninsule : un homme considéré comme le porte-parole des « droits de l’homme », suscitant l’espoir d’une unité nationale italienne. C’est ce que Foscolo exprime dans une Ode de 1799, où il espère voir son pays délivré du joug étranger. Mais la déception s’est déjà infiltrée en lui et dans le pays, en raison du traité de Campoformio de 1797 où Venise a été cédée à l’Autriche.

C’est alors que le piano « parle ». Le public connaît la sonate dite « Clair de lune », mais a-t-il remarqué l’incessant glissement de la musique entre la tonalité en mode mineur, porte-parole de la tristesse, puis en mode majeur où l’espoir renaît ? À l’image d’un musicien, Ludwig van Beethoven, qui est interprète de la déception voire de la désolation suscitée par ce revirement historique, mais illustrant aussi l’idée d’un avenir meilleur. Ce sera le thème essentiel de sa 9ème Symphonie, où la mise en musique du poème de Schiller offrira une conclusion radieuse. Mais en attendant, c’est en effet la déception qui domine : « Il est comme tous les autres », « Il s’est fait empereur », prononce Beethoven dans une phrase fameuse au moment où est projeté sur l’écran l’instant où Bonaparte devient Napoléon en installant sur sa tête la couronne impériale, au grand dam du pape Pie VII refoulé dans un coin de la scène (et du tableau de David). Déjà la symphonie n°3 a perdu son appellation originelle d’ Héroïque, au profit de la désenchantée : Symphonie dédiée au souvenir d’un grand homme. Foscolo s’efforce malgré tout de reconnaître le puissant travail réalisé par cet homme. Il avait fait naguère preuve de réalisme politique dans une « oraison » tenue lors du Congrès de Lyon de 1802. Napoléon représentait pour lui un personnage unique dans l’humanité, et il célèbre en lui le travail qu’il a réalisé. D’ailleurs, même le Congrès de Vienne ne pourra pas totalement le détruire.

Beethoven, qui a vécu huit ans de plus que le poète, va être évoqué longuement à la fin de la rencontre. Le langage musical présente en effet pour le compositeur comme pour un public pratiquant des langues variées – et la Cité universitaire en fournit un exemple significatif – l’avantage d’être compris ou plutôt « ressenti ». Le pianiste Giuseppe Fausto Modugno illustre, après l’avoir évoquée, la capacité de Beethoven à enrichir la forme de la sonate, forme musicale extrêmement codifiée, qu’il fait éclater à la mesure de ses passions, telle que dans la Pathétique et dans tant d’autres. Il fait noter aussi l’introduction de thèmes populaires, parfois très simples, dans ses compositions. N’est-ce pas une mélodie quasi enfantine chantée par un choeur – une nouveauté – qui soutient le poème de Schiller après une trentaine de minutes de grands développements orchestraux ? Comment ne pas admirer, aussi, sa capacité à développer sept variations sur un thème comprenant quatre notes : performance réalisée dans la sonate op.31, n°2 (La Tempête).

C’est dans un grand élan fougueux, réellement beethovénien, à l’image d’une époque historique si bouleversée, que M. Modugno exécutant ces variations conclura la soirée, « senza copione », comme le précisa le Président de la Dante de Paris, Michele Canonica. Pas de « scénario » préconçu en effet dans cette rencontre, mais une double réflexion sur la liberté qui aurait plu à ces deux chantres d’autrefois.

Emmanuelle GENEVOIS
Maître de Conférences honoraire
Sorbonne Nouvelle Paris 3