Dîner-débat de la Chambre de Commerce Italienne pour la France, le 5 avril 2005 au Cercle de l’Union Interalliée.

Le 5 avril 2005, la Chambre de Commerce Italienne pour la France de Paris (CCIF) a organisé un dîner-débat en l’honneur de M. Mario Monti, Professeur Emérite et Président de l’une des plus prestigieuses structures universitaires d’Europe, l’Université Luigi Bocconi de Milan. Ce n’est pas un hasard si parmi les très nombreux participants, à côté des stars du monde économique et diplomatique, se trouvaient plusieurs membres de l’association des diplômés de la Bocconi opérant en France.

L’intérêt du protagoniste de la manifestation était accru par son récent passé de Commissaire Européen. Rappelons que sa première nomination à ce poste (période 1995-1999) provenait d’un gouvernement de centre-droit présidé par M. Silvio Berlusconi, alors que sa deuxième nomination (période 1999-2004) a été décidée par un gouvernement de centre-gauche présidé par M. Massimo D’Alema. Par conséquent, M. Monti joue aujourd’hui, dans le panorama de la vie italienne et européenne, le rôle enviable d’une personnalité extrêmement respectée au-delà des différentes tendances du jeu politicien. D’où le grand nombre et la qualité des questions en provenance du public présent le 5 avril dernier dans le Salon Foch du Cercle de l’Union Interallié.

Quel est votre sentiment sur l’état de santé de la construction européenne ?

Mario Monti – On oublie trop souvent qu’elle sort d’une décennie où elle a lancé plusieurs initiatives d’envergure historique : le marché unique ; la monnaie unique ; l’élargissement à l’Est ; la nouvelle Constitution. Après tout ce travail, il s’agit aujourd’hui de mettre au point une gestion d’ensemble de la politique économique. Le dernier Conseil Européen, en mars dernier, s’est occupé notamment de la révision du pacte de stabilité et de la « stratégie de Lisbonne » pour améliorer la compétitivité.

Quant au premier point, je pense qu’il y a eu un pas en arrière sur le plan politique (les règles imposées à de petits pays comme l’Irlande et au Portugal ont été assouplies pour de grands pays comme l’Allemagne et la France, puis l’Italie), mais un pas en avant sur le plan économique (plus de rationalité par rapport au simplisme excessif des accords précédents). Concernant le deuxième point, les progrès ont été insuffisants, malgré la mise en place d’une nouvelle méthode.

Il est évident que nous vivons une phase d’incertitude…

Mario Monti - … et cela produit, face à une croissance trop faible et à la crainte du « danger chinois », une certaine reprise du nationalisme économique. Les soucis sociaux, les différents problèmes liés à une possible augmentation du chômage induisent vers l’illusion d’améliorer les choses en cultivant des tentations protectionnistes.

Bien au contraire, il faut en ce moment renforcer le marché unique qui laisse des marges très importantes pour une politique misant sur l’emploi ainsi que sur la redistribution des revenus. La concurrence asiatique, notamment chinoise et indienne, représente une raison supplémentaire pour bâtir une Europe dont les partenaires deviennent de plus en plus unis et de moins en moins nationalistes.

Il nous sera impossible de battre la Chine sur le plan du coût du travail, mais on peut valoriser notre capital humain en développant chez nous le rôle de l’instruction et de la recherche. En même temps, une Europe forte et solidaire peut exercer une pression politique bien déterminée sur les autorités de ce pays, afin qu’elles imposent le respect de la propriété intellectuelle, afin qu’elles collaborent avec nous dans la lutte contre la concurrence déloyale et la contrefaçon.

Le malaise français

Que pensez-vous de l’imminent référendum français sur la Constitution Européenne, pour lequel plusieurs sondages prévoient une victoire du « non » ?

Mario Monti – Il est évident que les enjeux de politique intérieure ainsi que le malaise économique et social risquent de l’emporter sur une réflexion sérieuse à propos d’un texte assez complexe.

En donnant leur majorité au « non », les Français prendraient l’énorme responsabilité de torpiller une construction européenne à laquelle ils ont participé dès le début en tant que pays fondateur, aux côtés de l’Allemagne, de l’Italie et du Benelux. Surtout, ils finiraient par se prononcer contre leurs propres intérêts, et cela vaut pour les opposants « de droite » comme pour ceux « de gauche ».

Aux opposants souverainistes, il faut rappeler que le résultat paradoxal de leur victoire serait une Europe plus faible et par conséquent moins indépendante, car totalement dominée par la super-puissance américaine et par un groupe restreint de sociétés multinationales contrôlées par les USA. En plus, il faut leur rappeler que la nouvelle Constitution donne aux Parlements nationaux des possibilités nouvelles d’empêcher un excès de pouvoirs de la part d’un Super-Etat européen.

Aux opposants qui souhaitent des mécanismes moins libéraux, il faut répondre que l’affaiblissement de l’image de l’Europe comporterait moins d’investissements de la part des pays tiers, donc moins de richesse à distribuer et moins d’investissements sociaux. Sans oublier que l’opinion prédominante au Royaume-Uni (mais aussi en République Thèque et ailleurs) accuse la Constitution d’être même trop orientée vers des objectifs socialisants.

Pour conclure, quelle est votre opinion sur le rôle de l’Italie dans l’Europe de demain ?

Mario Monti – Son rôle sera très important à condition qu’elle se sente vraiment concernée dans cet immense projet, qu’elle ne le considère pas comme une affaire dont les protagonistes seraient d’autres grands pays européens.

Propos recueillis par M. CANONICA

Texte publié en 2005 dans la revue France Italie